Elle allait leur en mettre plein la vue, à Isa, Michèle, et toutes les autres du Méga Z. Cinq ans qu’elle y travaillait avec acharnement, sans compter les cours par correspondance du International Institute of Coaching de Villeneuve–les-Garennes l’année précédente. Le résultat était à la hauteur de ses espérances. Elle avait parfaitement su initier les changements, réagir aux feed-back, sauter de micros objectifs en micros objectifs, les traduire en actions, et transformer une situation désespérée en réalisation éclatante. Elles n’allaient pas en revenir.
Elle reprit une part de gâteau, en jetant un œil vers le caisson.
Pourtant, ça n’avait pas été facile. Faut dire qu’elle partait de loin. Dans un demi-sourire flottant, la langue encore sucrée, elle se rappela la tête de Michel, le 28 août 2006 à 18 heures – elle notait tout scrupuleusement dans son journal de bord- quand elle lui avait annoncé :
- Michel ?
- Hum.
- Je vais te prendre en main, mon chou.
- Hum hum.
- Dis-moi oui, chéri. C’est pour ton bien, tu sais. Je t’aime si fort.
- (…)
- Tu ne le regretteras pas, chou.
Opération compliquée, non pas pour le convaincre, mais plutôt vu le capital de départ. Son Michel, on aurait dit un pot de gelée tremblotante surmonté de quelques cheveux épars. Son postérieur réussissait à être à la fois graisseux et plat, une acné juvénile avait martelé son visage de petits trous grumeleux, et il dégageait une odeur incompréhensiblement fétide. Le seul background positif, comme on disait à l’Institute, c’était son caractère conciliant. Pas le style à prendre des initiatives intempestives, ou à s’opposer. Surtout depuis qu’il avait été plan socialisé.
Ella avait commencé par la base : réduction drastique de l’alimentation, musculation intensive, épilation ; puis elle avait enchaîné, gélules, dentier plus blanc que blanc, lavages d’estomac pour purifier, u.v...
L’héritage de cette vieille folle de Tatie Suzon tomba à point nommé et lui permit de programmer quelques interventions plastiques en Tunisie, c’était moins cher. Liposuccion du ventre et des mollets, et surtout un gros boulot sur la tête : dermabrasion, lifting du visage, traitement de la calvitie par la technique des lambeaux, blépharoplastie…
Rien que de prononcer ces mots dans sa tête, et elle glouglouta de bonheur.
Les quelques complications inhérentes à ce genre d’opérations, surtout si rapprochées et sur une peau pas de toute première fraîcheur, n’avaient en rien altéré sa, leur détermination. Lorsqu’il avait commencé à renâcler (quelques complications dues à un lambeau mal recollé), elle l’avait mis sous Prozac. Depuis, ça allait beaucoup mieux. Elle le vivifiait quand il fallait avec quelques vitamines ou excitants adéquats, et comblait son sexe le plus souvent défaillant avec Canard Plus Que Sauvage commandé sous pli discret à La Redoute.
Ah, c’est un chemin de croix, la beauté, faut pas croire.
Elle s’avachit légèrement dans le canapé et tendit une main lascive vers la télécommande. Elle hésita un peu devant les innombrables petits carrés mouvants, et choisit finalement de regarder du catch. Elle aimait bien, le catch.
Le seul problème, c’était l’odeur. Elle n’avait toujours pas réussi à faire disparaître cette fâcheuse nuisance olfactive qui semblait suinter secrètement du corps, même entièrement refait.
C’est pour cette raison qu’elle le mettait de plus en plus souvent dans le tube, Michel. Elle ne savait pas lire la notice – en japonais non traduite – mais ce caisson à oxygène constituait le dernier cri de la régénération, à tous points de vue. Nul ne pouvait ignorer l’avancée technologique des japonais en la matière, elle l’avait encore lu dernièrement dans un journal éminemment sérieux.
Elle lécha la crème sur l’assiette et le contempla, nu et bronzé dans son boyau transparent. Elle croisa son regard de poisson morne.
Elle lui sourit, gentiment.
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