Lieu de consignation d'écriture: bouts, fragments, divers faits, histoires nécessairement avortées puisqu'ils ne savent pas faire
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jeudi
au début je la porterais dans un sac plastique
J'irais boire un coup, j'aurais ce carnet dans lequel je n'écrirais rien.
J'écouterais celui de dos parler.
Il serait question de pouvoir d'achat et de Belgique, et d'une fille à qui ses copines ont posé un lapin. Il lui offrirait un kir, au plaisir de la maison et d'un autre consommateur en cravate qui a l'air de s'ennuyer un peu.
Je boirais deux demis, j'irais aux toilettes.
En partant je laisserais le sac sous la table avec ma tête dedans.En sortant la pluie crachinerait un peu différente, mais personne ne se rendrait compte de rien. Il ferait déjà nuit.
la grosse dame
La grosse dame se contorsionne pour observer ses doigts de pieds boudinés. Elle envisage de les couper, puis de taillader la chair débordante du corps pour en disperser les appâts par dessus le balcon. Ils pourraient alors s’écraser sur le sol, un feu d’artifice pour les petits du rez-de-chaussée. Réduction de corps. Mise à nu de l’âme. Elle sortirait dans la rue limpide, écrasée de soleil, même pas moite puisque sans peau, les yeux fiers.
Mais la grosse dame a un projet. D’abord, trouver un endroit.
La grosse dame était maigre, petite. Son corps a commencé à enfler, à se dilater tout doucement puis à combler les interstices entres la peau et les os par une matière indéfinissable, gluante et ferme, jusqu’à ce positionnement écartelé avec la réalité. La matière s’est amollie, les plis ont dégouliné. Elle s’est demandée s’il y avait une limite. Peut-être un jour prendrait- elle toute la place ?
Plus elle est grosse plus les autres s’atténuent, elle voudrait bien les faire disparaître complètement, éviter ces regards doucereux, emplis d’une feinte banalisation cachant misérablement leur absolu contentement de minces roseaux.
En même temps, cette dévastation corporelle procure pas mal d’avantages. C’est indéniable. D’abord, ça limite la concupiscence fébrile. Le libidineux débordant sous couvert de romantisme et de cuisine intégrée dans le pavillon de tes rêves poulette payable avec emprunt de trente-cinq ans. Ensuite, ça induit en erreur, ça imagine naïveté, mollesse, voire bêtise ou léger handicap mental, tout un champ d’acuité intellectuelle obscurci par un tas de viande propulsé en première ligne. Elle peut développer en douce son cerveau sans être inquiétée.
D’accord elle est grosse, mais ni drôle ni joviale. Sa chair débonnaire trompe l’ennemi, en plus elle a l’accent du sud. Au fond d’elle, une statue de Giacometti.
Elle a trouvé le lieu. Londres. La City. Elle s’installe, s’allonge sur un coin de béton entre des immeubles de verre noirs et transparents.
La grosse dame s’incruste dans le sol ; les tissus s’affalent. Tailleurs et complets vestons se hâtent autour d’elle, on la voit à peine, la grosse, quelle immondice on n’a pas que ça à faire, le temps court et l’argent doit affluer. Ou peut-être est-ce une Performance ? Formidable. Quelle idée géniale, tout un symbole. Un journaliste l’interroge. Home sweet home, dit-elle.
Elle ferme les yeux. Continue de réfléchir. A ne pas pouvoir disparaître autant s’exposer, s’était-elle suggérée incidemment. Provoquer. Déranger ?
Sauf que les costumes passent, passent, et repassent. Rien ne se passe. La grosse dame est devenue décor, mobilier urbain.
Alors elle se lève, froissée, maladroite, pachydermique. Elle déborde dans le bus le train l’avion jusqu’à son appartement parisien.
La grosse dame tombe par terre, elle a bu du vin, ne parvient pas à se relever. Quelle misère pense-t-elle. A choisir, j’aurais préféré être pauvre ou immigrée. Elle glousse comme une vieille dégueulasse qui peut tout dire puisque personne ne l’écoute, personne ne s’intéresse jamais à elle sauf peut-être les témoins de Jéhovah ou le plombier attiré par les obèses maternelles et douces.
Elle n’aime pas les mères, ni les plombiers, ni la gentillesse compassionnelle. Elle pourrait se foutre en l’air une fois pour toute basta fini on n’en parle plus pas la peine rideau mais curieusement ne s’y résout pas. Quelque chose à vivre quelque part ? Faire payer ? Cuver jusqu’au bout ? Expérimenter la lie de la lie de cette existence monumentale et ridiculement réduite ?
Une vague tentative psychanalytique avortée pour cause de divan trop étroit n’avait pas répondu à cette question et la laissait désemparée.
Chairs débordantes sur parquet ciré.
Elle peut juste apercevoir, dans le coin droit de la fenêtre, un bout de panneau publicitaire s’insurgeant :
« NON au vieil
Cutané »
Ou elle pourrait prendre son fusil de chasse, héritage du père rustique qui lui faisait boire du café au lait après avoir soigneusement retiré la mouche bleue qui baignait dedans. Elle irait au centre commercial, et tirerait dans le tas. Soigneusement.
Chairs mutilées sur têtes de gondole.
Pourquoi ?
Et pourquoi pas ?
(Il y aurait bien quelqu’un quelque part pour en faire un film).
play boy
Elle allait leur en mettre plein la vue, à Isa, Michèle, et toutes les autres du Méga Z. Cinq ans qu’elle y travaillait avec acharnement, sans compter les cours par correspondance du International Institute of Coaching de Villeneuve–les-Garennes l’année précédente. Le résultat était à la hauteur de ses espérances. Elle avait parfaitement su initier les changements, réagir aux feed-back, sauter de micros objectifs en micros objectifs, les traduire en actions, et transformer une situation désespérée en réalisation éclatante. Elles n’allaient pas en revenir.
Elle reprit une part de gâteau, en jetant un œil vers le caisson.
Pourtant, ça n’avait pas été facile. Faut dire qu’elle partait de loin. Dans un demi-sourire flottant, la langue encore sucrée, elle se rappela la tête de Michel, le 28 août 2006 à 18 heures – elle notait tout scrupuleusement dans son journal de bord- quand elle lui avait annoncé :
- Michel ?
- Hum.
- Je vais te prendre en main, mon chou.
- Hum hum.
- Dis-moi oui, chéri. C’est pour ton bien, tu sais. Je t’aime si fort.
- (…)
- Tu ne le regretteras pas, chou.
Opération compliquée, non pas pour le convaincre, mais plutôt vu le capital de départ. Son Michel, on aurait dit un pot de gelée tremblotante surmonté de quelques cheveux épars. Son postérieur réussissait à être à la fois graisseux et plat, une acné juvénile avait martelé son visage de petits trous grumeleux, et il dégageait une odeur incompréhensiblement fétide. Le seul background positif, comme on disait à l’Institute, c’était son caractère conciliant. Pas le style à prendre des initiatives intempestives, ou à s’opposer. Surtout depuis qu’il avait été plan socialisé.
Ella avait commencé par la base : réduction drastique de l’alimentation, musculation intensive, épilation ; puis elle avait enchaîné, gélules, dentier plus blanc que blanc, lavages d’estomac pour purifier, u.v...
L’héritage de cette vieille folle de Tatie Suzon tomba à point nommé et lui permit de programmer quelques interventions plastiques en Tunisie, c’était moins cher. Liposuccion du ventre et des mollets, et surtout un gros boulot sur la tête : dermabrasion, lifting du visage, traitement de la calvitie par la technique des lambeaux, blépharoplastie…
Rien que de prononcer ces mots dans sa tête, et elle glouglouta de bonheur.
Les quelques complications inhérentes à ce genre d’opérations, surtout si rapprochées et sur une peau pas de toute première fraîcheur, n’avaient en rien altéré sa, leur détermination. Lorsqu’il avait commencé à renâcler (quelques complications dues à un lambeau mal recollé), elle l’avait mis sous Prozac. Depuis, ça allait beaucoup mieux. Elle le vivifiait quand il fallait avec quelques vitamines ou excitants adéquats, et comblait son sexe le plus souvent défaillant avec Canard Plus Que Sauvage commandé sous pli discret à La Redoute.
Ah, c’est un chemin de croix, la beauté, faut pas croire.
Elle s’avachit légèrement dans le canapé et tendit une main lascive vers la télécommande. Elle hésita un peu devant les innombrables petits carrés mouvants, et choisit finalement de regarder du catch. Elle aimait bien, le catch.
Le seul problème, c’était l’odeur. Elle n’avait toujours pas réussi à faire disparaître cette fâcheuse nuisance olfactive qui semblait suinter secrètement du corps, même entièrement refait.
C’est pour cette raison qu’elle le mettait de plus en plus souvent dans le tube, Michel. Elle ne savait pas lire la notice – en japonais non traduite – mais ce caisson à oxygène constituait le dernier cri de la régénération, à tous points de vue. Nul ne pouvait ignorer l’avancée technologique des japonais en la matière, elle l’avait encore lu dernièrement dans un journal éminemment sérieux.
Elle lécha la crème sur l’assiette et le contempla, nu et bronzé dans son boyau transparent. Elle croisa son regard de poisson morne.
Elle lui sourit, gentiment.